HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX

HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX
HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX

Bien des siècles avant l’Antiquité classique, on admettait déjà un étroit rapport entre les hémisphères cérébraux et les fonctions mentales supérieures: sensation consciente, motricité volontaire, mémoire, etc. Les anciens auteurs ont abondamment spéculé sur la région des hémisphères où pouvaient résider ces facultés généralement désignées par le terme global d’âme ou de psyché. Les uns les plaçaient dans les cavités cérébrales que nous appelons aujourd’hui ventricules, d’autres suggéraient des localisations diverses et plus précises. Dès le XVIIe siècle cependant, T. Willis (1621-1675) et R. Vieussens (1641-1715), à la suite de quelques expériences encore très grossières, retiraient aux ventricules leur rôle de siège de la conscience et liaient celle-ci à la substance cérébrale. Willis en particulier, tout en fournissant l’essentiel de la description anatomique du cerveau et de son irrigation, affirmait déjà que ce dernier renfermait les centres responsables de la motricité volontaire, tandis qu’il attribuait au cervelet le contrôle de la motricité involontaire. Il est remarquable que cette distinction ait été largement confirmée, au moins dans son principe, par les travaux ultérieurs.

Dans le courant du XIXe siècle, neurologues et physiologistes suggéraient que telle ou telle région cérébrale, et en particulier corticale, était reliée à une fonction spécialisée. Cette conception d’une grande originalité était essentiellement due au neurologue français P. Broca (1824-1880). Celui-ci, en 1861, rattachait en effet un phénomène pathologique, la perte de l’expression verbale (qu’il appelait «aphémie»), à des lésions ultérieurement observées à l’autopsie dans une région limitée de l’hémisphère cérébral gauche. Une dizaine d’années plus tard, G. Fritsch et E. Hitzig (1870), puis D. Ferrier (1873) apportaient une donnée expérimentale essentielle en montrant que la stimulation de certaines régions de la surface du cerveau entraînait la production de mouvements localisés à la tête ou à un segment de membre déterminé. Jusqu’à une époque relativement récente, nos conceptions sur le rôle des hémisphères cérébraux ont reposé pour l’essentiel sur ces deux types de méthodes: l’établissement de corrélations anatomo-cliniques et les résultats fournis par la stimulation.

Dans la mesure où les travaux des physiologistes et des neurologues semblent indiquer que l’ensemble du manteau cortical ne possède pas en tous points les mêmes propriétés, on s’est tout naturellement efforcé de rechercher si l’on ne pourrait trouver un support à des responsabilités fonctionnelles distinctes dans des différenciations structurales locales. Ainsi s’est développée toute une série d’études anatomiques et histologiques de plus en plus fines visant à diviser, à morceler l’étendue du cortex en aires ou en champs, différant les uns des autres par de petites particularités auxquelles se rattacheraient des rôles physiologiques bien définis.

Les anatomistes et histologistes du début du siècle ont consacré beaucoup de travaux à cette étude, faisant porter leurs efforts tantôt sur la répartition, le type, les dimensions du corps des cellules nerveuses corticales (cytoarchitectonie), tantôt sur la disposition et l’importance de leurs prolongements (myéloarchitectonie). Dès 1840, le neurologue français J. G. F. Baillarger avait montré qu’en plaçant une tranche fine de cortex cérébral entre deux lames de verre on pouvait y reconnaître sans autre préparation, et aidé seulement d’une loupe, une série de couches alternativement plus foncées et plus claires. Il avait noté ainsi que leurs largeurs respectives différaient de façon notable suivant la portion des hémisphères à laquelle on avait emprunté la tranche de cortex. Les travaux de très nombreux histologistes, et en particulier de O. Vogt, A. W. Campbell, K. Brodmann, C. von Economo, S. Ramón y Cajal, allaient apporter des précisions très importantes quant à la structure générale du néocortex et à ses différences régionales, aboutissant même, en ce qui concerne ce dernier point, à un certain excès dans la parcellation. K. Brodmann, par exemple (1909), reconnaissait quarante-cinq régions distinctes par de petites différences cytoarchitectoniques (fig. 1).

Depuis cette époque, et en particulier depuis les années 1960, l’apparition et le développement de nouvelles méthodes et techniques histochimiques, histo-enzymologiques et neurophysiologiques ont, dans une certaine mesure, simplifié cette cartographie. Cependant, il est remarquable d’observer que ses grands traits ne s’en sont pas trouvés modifiés.

1. Anatomie et histologie

Sans entrer dans les détails anatomiques [cf. ENCÉPHALE], rappelons que chez tous les Vertébrés les hémisphères cérébraux peuvent être assimilés grossièrement à deux cylindres de tissu nerveux, le centre de chacun d’eux étant creusé d’une cavité dénommée ventricule et pleine de liquide céphalo-rachidien. Chez les Vertébrés les plus rudimentaires, les hémisphères cérébraux, s’ils sont déjà liés assez étroitement au contrôle de l’activité motrice, ne reçoivent d’informations importantes d’origine périphérique que d’ordre olfactif; celles provenant des autres organes sensoriels n’atteignent pour l’essentiel que des régions plus bas situées dans le système nerveux axial. Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’échelle des Vertébrés, les relations entre les récepteurs périphériques et les hémisphères cérébraux se font de plus en plus étroites, en particulier avec le cortex. Celui-ci trouve son origine dans la division du télencéphale en deux régions principales, l’une ventrale et l’autre dorsale. La portion ventrale est faite de structures massives rassemblées sous la dénomination de noyaux de la base , tandis que, dans la région dorsale d’abord très mince, le pallium , se développent chez les Reptiles et surtout chez les Mammifères des nappes de neurones à disposition superficielle, séparées des cavités ventriculaires par une couche de plus en plus épaisse de fibres nerveuses. Ces nappes cellulaires disposées à la périphérie des hémisphères vont constituer une couche de «substance grise», le cortex cérébral , qui peut être divisée en trois régions: médiane (ou interhémisphérique), latérale et dorsale. Chez les Mammifères inférieurs, le cortex des portions médianes et latérales, dénommé allocortex ou archéocortex, est de structure relativement simple, tandis que celui des régions dorsales, l’iso- ou néocortex, est plus complexe. Au fur et à mesure que le cerveau des Mammifères s’est développé, l’isocortex a accru son étendue. Chez les Primates et chez l’Homme, il recouvre la quasi-totalité des hémisphères, l’allocortex se trouvant refoulé dans des régions très limitées des faces interhémisphériques et inférieures.

Une coupe du néocortex humain provenant d’une région antérieure du lobe frontal et traitée par une coloration histologique simple mettant seulement en évidence les corps des neurones permet de reconnaître facilement six couches distinctes qui, en allant de la périphérie à la profondeur, montrent les traits particuliers suivants (fig. 2):

– la couche I, dite moléculaire ou plexiforme superficielle , possède dans les coupes fraîches une épaisseur d’environ un quart de millimètre; elle est pauvre en cellules, et celles-ci sont de forme et de dimensions variées; des méthodes histologiques plus raffinées montrent que cette couche contient essentiellement les prolongements dendritiques de neurones plus profondément situés;

– la couche II, ou granulaire externe , est formée de petites cellules présentant en coupe une forme triangulaire et dont les dimensions moyennes s’étagent entre 10 et 20 猪m;

– la couche III, appelée pyramidale externe , est souvent difficile à distinguer de la précédente; elle contient des cellules dont la forme est la même (cellules pyramidales), mais dont les dimensions moyennes sont le plus souvent supérieures (de 20 à 40 猪m);

– la couche IV, dénommée granulaire interne , est constituée pour l’essentiel de petits neurones (10 à 15 猪m) dont le corps arrondi est porteur de nombreux dendrites diffus, courts et richement arborisés;

– la couche V, couche ganglionnaire ou pyramidale interne , bien distincte de la précédente, renferme surtout des cellules pyramidales beaucoup plus grosses que celles de la couche III, certaines dépassant 50 猪m et pouvant même atteindre 80 à 100 猪m;

– la couche VI, dite fusiforme , est plus polymorphe; ses cellules sont de taille et de forme variables.

Ces six couches possèdent à peu près la même épaisseur et c’est pour cette raison que cet isocortex est dit homotypique . Dans d’autres régions du manteau cortical, des différences notables dans l’importance relative de ces couches peuvent être relevées. Ainsi chez l’Homme, immédiatement en arrière du sillon dénommé scissure de Rolando ou, mieux, scissure centrale (sulcus centralis ), la région dite circonvolution pariétale ascendante (gyrus post-central) possède des couches granulaires particulièrement développées et des couches pyramidales très réduites. Une telle différenciation a fait appliquer à ce cortex l’épithète de granulaire . Ce caractère est encore plus marqué sur la face interne des hémisphères, à leur pôle postérieur (ou occipital), dans une aire étroite entourant un sillon dénommé scissure calcarine . La proportion des grains (fig. 3) y est telle qu’on l’a appelé koniocortex (cortex poussiéreux). À l’inverse, dans une bande de cortex (circonvolution frontale ascendante ou gyrus précentral) située immédiatement en avant de la scissure de Rolando, les deux couches pyramidales ont une épaisseur très supérieure à celle des couches granulaires, d’où le nom de cortex agranulaire donné à cette région. On y trouve en outre des cellules pyramidales géantes pouvant atteindre 100 猪m, les cellules de Betz , aux responsabilités fonctionnelles particulières (cf. Aires motrices du néocortex des Mammifères , in chap. 4). Les aires corticales, dont certaines couches présentent ainsi un développement nettement supérieur à d’autres, sont dites formées d’un isocortex hétérotypique .

Chez tous les Mammifères, les éléments de cette lamination sont retrouvés sans modifications essentielles. On peut cependant relever des différences intéressantes et très notables dans la densité des neurones suivant les espèces. Si l’on considère le nombre de cellules nerveuses par 1 000 猪m3, il en existe, selon D. A. Scholl, 142 chez la Souris, de 43,8 chez le Lapin, 24,5 chez le Chien, 10,5 chez l’Homme et 6,8 chez la Baleine ou l’Éléphant. On voit donc aussitôt que la densité neuronale est d’autant plus faible que la taille de l’espèce est plus importante, tandis qu’elle est sans rapport avec ses performances comportementales. La faible densité observée chez les Mammifères de grande taille est liée en effet à l’importance de la proportion de cellules non nerveuses contenues dans leur cortex et dont l’ensemble constitue la névroglie (ou glie ), tissu dont les responsabilités fonctionnelles participent de ce fait à la conduction de l’influx nerveux.

Naturellement, au sein d’une région déterminée du cortex on peut mettre en évidence, en plus des neurones et des prolongements de ceux-ci qui lui appartiennent en propre, une abondance de fibres nerveuses provenant soit d’autres régions des hémisphères cérébraux, d’où leur nom de fibres d’association , soit du reste du système nerveux central et constituant l’ensemble des fibres afférentes ou afférences . Une grande proportion d’entre elles sont originaires des neurones des derniers relais des voies de la sensibilité et de la sensorialité (fig. 4). Au sein du cortex, elles se terminent surtout au niveau des cellules granulaires de la quatrième couche et, dans une moindre mesure, au contact des prolongements dendritiques des neurones pyramidaux de la troisième couche. Quant aux axones des neurones d’une aire déterminée, ils se rendent soit à des régions corticales plus ou moins proches, rentrant alors dans le lot général des fibres d’association, soit à d’autres structures nerveuses. Ce dernier contingent de fibres peut atteindre des longueurs de plusieurs décimètres, voire dépasser le mètre, et constitue le système des projections efférentes ou efférences . Celles-ci proviennent surtout des cellules pyramidales de la couche V. Les fibres d’association sont, au contraire, principalement originaires des neurones pyramidaux de la troisième couche.

Enfin, de très nombreux neurones possèdent des axones courts demeurant tout entiers inclus dans l’épaisseur du cortex et assurant des interconnexions très riches entre ses différents éléments.

À ce pattern général de connexions interneuronales, des précisions de grand intérêt se sont ajoutées. À la suite en particulier des travaux de neurophysiologistes et de neurohistologistes tels Mountcastle, Szentagothai, Hubel et Wiesel, on a pu montrer que l’ensemble des aires corticales, et spécialement celles qui sont liées à la vision, à la somesthésie et à la motricité, s’organisent en une sorte de mosaïque formée de colonnes juxtaposées orthogonales à la surface du cortex. Leur grand axe est constitué par le groupement des dendrites apicaux d’un certain nombre de cellules pyramidales des couches III et V. Autour d’eux viennent s’associer à la fois des corps cellulaires, des dendrites et des axones de neurones appartenant à d’autres couches ainsi que des fibres afférentes d’origine extra et intra-hémisphérique (fig. 4).

Bien entendu, au sein de chacune de ces «colonnes», existent des articulations synaptiques très complexes entre les différents éléments qui les composent.

Cette organisation apparaît d’autre part dans ses grandes lignes à peu près identique dans toutes les aires corticales et semble avoir de très importantes implications fonctionnelles. Nombre d’entre elles sont maintenant bien connues, en particulier pour les aires somesthésiques, visuelles et motrices.

2. Localisations corticales sensorielles chez l’Homme

Il est possible de pratiquer chez l’Homme conscient, au cours d’interventions neurochirurgicales, des stimulations ménagées et soigneusement graduées des différentes portions de la surface des hémisphères cérébraux. L’obtention de mouvements intéressant tel ou tel muscle, ou segment corporel, la description par le patient des sensations éprouvées, ont permis de dresser une carte relativement détaillée des localisations corticales (W. Penfield et coll.).

Aire de la sensibilité générale

La stimulation électrique de la circonvolution pariétale ascendante (gyrus post-central), qui correspond aux aires 1, 2 et 3 de Brodmann, entraîne chez le sujet conscient la naissance de sensations élémentaires décrites généralement comme des chatouillements, des fourmillements, des piqûres dans des régions bien déterminées des membres, du tronc ou de la face, beaucoup plus rarement des sensations thermiques dont la projection corticale reste fort mal connue. La sensibilité à la température paraît d’ailleurs bien davantage liée à la sensibilité douloureuse qu’à la sensibilité tactile. Ces sensations se situent toujours dans l’hémiface ou l’hémicorps opposé à l’hémisphère stimulé. En outre, et c’est là le point le plus remarquable, il existe une représentation ordonnée des différentes régions tégumentaires (somatotopie) sur l’étendue de la circonvolution en cause, représentation dont le détail a été fourni essentiellement par les travaux de W. Penfield et T. Rasmussen. La figure 5 en donne une vue simplifiée qui permet cependant de relever que les aires de représentation ne sont pas proportionnelles aux surfaces tégumentaires correspondantes. Ainsi l’aire de représentation corticale de la main est beaucoup plus grande que celle du reste du membre supérieur. De même, celles de la face et de la langue occupent une superficie relativement considérable. L’étendue de la représentation néocorticale d’une région tégumentaire déterminée est en fait liée à sa densité en terminaisons sensitives et non à sa surface propre.

Un consensus existe chez les expérimentateurs en ce qui concerne ce pattern des projections de la sensibilité cutanée à la surface de la circonvolution pariétale ascendante. Cependant certains auteurs ont constaté, d’une part, la possibilité de faire naître des sensations en stimulant la portion de la circonvolution frontale ascendante (donc l’aire motrice principale, cf. Aires motrices du néocortex des Mammifères , in chap. 4) immédiatement au contact de la scissure de Rolando, et, d’autre part, une distribution des localisations moins étroitement systématisée qu’on ne l’avait parfois prétendu.

Les observations faites à la suite de lésions et de destructions diverses de cette même circonvolution post-centrale ont confirmé les résultats obtenus lors des expériences de stimulation, mais en outre elles ont mis en lumière des faits de grande importance concernant la psychophysiologie des sensations tactiles [cf. SOMESTHÉSIE]. En particulier, une destruction rigoureusement limitée à la pariétale ascendante ne provoque qu’une anesthésie momentanée; celle-ci disparaît rapidement, et il ne subsiste qu’un déficit touchant les modalités les plus fines de la sensation: estimation du poids, discrimination de la rugosité d’une surface, localisation précise, appréciation de faibles différences de température, auxquelles s’ajoutent des difficultés dans la détermination de l’emplacement des divers segments du corps lorsque le patient a les yeux fermés. Ce dernier trouble se constate surtout si la lésion a quelque peu intéressé l’aire motrice correspondante.

Aire somatique seconde

L’exploration systématique de l’écorce cérébrale a par ailleurs révélé que dans une région située à la base des circonvolutions frontale et pariétale ascendantes, bordant le versant dorsal de la scissure de Sylvius , l’application de stimulations électriques provoque chez les patients l’apparition de sensations de même type que par excitation de l’aire primaire pariétale. Cependant, ces sensations sont beaucoup moins bien localisées et peuvent être ipsi- aussi bien que contralatérales , et sont très généralement limitées aux membres; la face, la langue et la muqueuse buccale ne paraissent pas être représentées. D’autre part, dans certaines expériences on obtient des mouvements ou la description d’une envie de mouvement siégeant dans le segment de membre où le patient localise la sensation. Il est cependant possible que ces résultats ne soient dus qu’à une diffusion du courant électrique stimulant au sein de l’aire motrice précentrale toute voisine.

Le rôle de cette aire sensitive seconde demeure controversé car, bien qu’elle ait pu être retrouvée chez la plupart des Mammifères comme on le verra ci-dessous, il est remarquable que sa destruction ne provoque aucun déficit sensitif ou moteur de quelque importance.

Autres aires sensorielles

La stimulation de l’aire 17, autour de la scissure calcarine, entraîne l’apparition de sensations visuelles élémentaires blanches ou colorées: taches, points lumineux mobiles, figures géométriques simples. Des représentations visuelles plus complexes et plus élaborées sont obtenues en réponse à l’excitation des aires péri- et parastriée (aires 18 et 19). La stimulation de la première circonvolution temporale, dans une zone étroite bordant le tiers postérieur de la scissure de Sylvius (aires 41 et 42 de Brodmann), provoque par contre l’apparition de sensations auditives élémentaires: bruits et sons simples, uniques ou répétés, décrits comme des ronflements, sifflements, craquements, grincements, etc. Le patient n’entend jamais de mots, de phrases ou de motifs musicaux. Des hallucinations de ce type peuvent être cependant obtenues si l’on intervient au niveau d’aires plus étendues de la première circonvolution temporale et de la région de passage pariéto-occipito-temporale. (Le lecteur trouvera une étude plus détaillée de l’organisation fonctionnelle des aires sensorielles visuelle et auditive et de leurs rapports avec les voies sensitives correspondantes dans l’article ACOUSTIQUE - Acoustique physiologique, et dans l’article VISION.)

Les localisations corticales des sensibilités chimiques, c’est-à-dire du goût et de l’odorat, demeurent encore incertaines; les diverses constatations cliniques et expérimentales amènent à situer l’aire olfactive au niveau de la face interne du lobe temporal (fig. 1), dans la région dénommée uncus ou crochet de l’hippocampe ; sa stimulation entraîne en effet régulièrement le déclenchement de sensations odorantes dont, curieusement, le caractère est toujours désagréable . La localisation corticale du goût paraît située dans le fond de la lèvre supérieure de la scissure de Sylvius, au contact du lobe de l’insula , dans une zone assez mal délimitée, proche semble-t-il de l’aire de projection de la sensibilité générale de la langue.

3. Les potentiels évoqués d’origine sensorielle et leur utilité dans la détermination des localisations corticales

Il est impossible chez l’animal d’identifier la localisation corticale des différentes sensations autrement que par des méthodes objectives. Celles-ci peuvent être fondées sur la réalisation de conditionnements dont on étudiera les modifications éventuelles sous l’effet de lésions convenablement situées et contrôlées. Cependant, le plus souvent, on recherche les phénomènes bioélectriques locaux enregistrables sur le cortex lorsqu’une voie afférente sensitive ou sensorielle est sollicitée par son stimulus spécifique (lumière, son, stimulus mécanique), ou par une excitation électrique. L’importance et la généralité de cette méthode d’étude de l’activité corticale provoquée sont telles qu’elles méritent une description quelque peu détaillée.

Morphologie et origine des potentiels évoqués

L’ensemble des cellules nerveuses corticales présente, chez le vivant, une activité fonctionnelle spontanée qui se traduit par des fluctuations de potentiels électriques, enregistrables par des électrodes disposées soit à la surface du cortex (électrocorticogramme), soit même à la surface du cuir chevelu (électro-encéphalogramme).

Si l’on stimule les terminaisons ou organes sensoriels, on peut alors recueillir par une macroélectrode (c’est-à-dire une électrode dont la surface de contact avec le cortex est de l’ordre d’un millimètre carré) convenablement placée, un phénomène bioélectrique complexe dénommé potentiel évoqué. Celui-ci se présente comme un ensemble de déflexions de signes variés: après une période de latence proportionnelle au temps mis par les influx nerveux à parcourir les voies reliant les récepteurs stimulés au cortex et, dans une moindre mesure, à l’intensité du stimulus, on observe l’apparition d’une déflexion positive (fig. 6) durant 10 à 20 millisecondes, suivie d’une phase négative plus longue, généralement moins ample, beaucoup plus variable dans sa forme, son voltage et sa durée. L’ensemble des deux phases dure 75 à 80 ms environ. Le potentiel évoqué proprement dit peut être suivi d’une succession complexe d’oscillations dénommées post-décharge , dont l’aspect et la fréquence sont proches de celles de l’activité électrocorticale spontanée.

Quelle est l’origine du potentiel évoqué? Une certaine obscurité existe encore quant à l’interprétation de ses différentes phases. Cependant, on s’accorde très généralement à admettre que la déflexion positive, qui est de beaucoup la plus régulière et généralement la plus ample, est en fait le reflet en miroir d’un phénomène plus profond. Celui-ci prend sa source au sein de la couche V (pyramidale interne) où il est dû à la mise en jeu de synapses excitatrices établies à ce niveau entre les fibres afférentes du dernier relais de la voie sensitive ou sensorielle stimulée et les cellules pyramidales de cette couche. On a pu fournir la preuve de cette interprétation en étudiant les activités bioélectriques recueillies par une microélectrode dont la pointe n’excède pas quelques microns de diamètre, et que l’on enfonce très lentement à l’intérieur du cortex au moyen d’un micromanipulateur, à l’endroit même où le potentiel évoqué global présente le voltage le plus important.

L’interprétation de la phase négative du potentiel évoqué est par contre beaucoup plus délicate, et ses mécanismes sont encore imparfaitement connus.

Potentiels évoqués corticaux et localisations cérébrales chez l’animal

De ce qui précède, on déduit immédiatement que l’étude systématique des potentiels évoqués chez l’animal permettra de dresser une véritable carte des voies corticales mises en activité par la stimulation de tel ou tel récepteur ou par celle des voies et des relais empruntés par l’information périphérique pour atteindre finalement les hémisphères cérébraux. Ainsi, on a pu constater que, comme pour l’Homme, les projections de la sensibilité visuelle et auditive se faisaient respectivement au niveau des lobes occipitaux et temporaux, mais que chez les Mammifères infra-primates, leur localisation s’étendait largement sur la convexité hémisphérique au lieu de s’enfoncer dans les scissures ou de passer sur la face interhémisphérique. En ce qui concerne la sensibilité tactile tégumentaire, sa projection se fait aussi au niveau du cortex pariétal, en arrière de l’aire motrice principale (fig. 8). De la même façon que chez l’Homme, on peut y déceler une somatotopie précise , la représentation de telle ou telle région tégumentaire étant d’autant plus grande que sa densité en terminaisons sensibles est plus élevée. C’est ainsi que, chez les Rongeurs et chez les Carnivores, l’aire de la projection de la face est très vaste et que celle de la main et du pied sont sensiblement de même étendue que chez les Simiens. On ne s’étonnera pas, d’autre part, que la représentation du groin soit particulièrement envahissante chez le Porc.

L’étude de la répartition des potentiels évoqués a mis également en évidence, chez l’animal, l’existence d’une aire sensitive seconde. Celle-ci est d’une étendue nettement plus faible que l’aire principale, sa situation est en général plus postérieure et s’intercale entre l’aire principale et l’aire auditive. Son rôle demeure mal connu, comme chez l’Homme.

Potentiels évoqués chez l’Homme

Lorsque, au cours d’interventions neurochirurgicales, il est possible de placer des électrodes enregistreuses à la surface des aires corticales réceptrices et que l’on stimule les récepteurs sensitifs ou sensoriels correspondants, on recueille un potentiel évoqué dont la morphologie est très voisine de celle qui a été décrite plus haut, en particulier au niveau de l’aire somesthésique dont l’accès est beaucoup plus facile que celui des aires visuelle et acoustique. Ces enregistrements demeurèrent bien longtemps exceptionnels puisqu’ils ne pouvaient se faire qu’au cours d’opérations chirurgicales; il n’était pas possible d’enregistrer chez l’Homme les potentiels évoqués au moyen d’électrodes placées à la surface du cuir chevelu, comme on le fait pour l’activité électrocorticale spontanée quand on recueille un électro-encéphalogramme: dans ces conditions, en effet, le voltage du signal évoqué est très faible et se trouvait «noyé» dans l’espèce de bruit de fond que constituait justement l’E.E.G. Cependant, l’emploi de petits calculateurs électroniques spécialement conçus pour extraire un signal bioélectrique apparaissant à intervalles réguliers au sein d’un bruit de fond aléatoire a permis de lever cet obstacle. On a pu ainsi recueillir, au moyen d’électrodes semblables à celles employées en électro-encéphalographie clinique et convenablement disposées sur le cuir chevelu, des potentiels évoqués produits par la stimulation des récepteurs sensoriels visuels ou auditifs ou des nerfs sensitifs cutanés. Dans ce dernier cas en particulier, en raison de la disposition favorable de l’aire de projection somesthésique au niveau de la circonvolution pariétale ascendante, le potentiel évoqué obtenu est identique par sa morphologie à celui recueilli chez des Primates ou même des Rongeurs ou des Carnivores dans des conditions identiques. Mais il n’en va pas de même dans le cas des réponses évoquées d’origine visuelle ou acoustique; chez l’Homme, en raison de la situation défavorable des aires de projections corticales principales correspondantes, on ne peut placer sur le cuir chevelu des électrodes qui leur seraient exactement sus-jacentes. De ce fait, en réponse à la stimulation spécifique de l’œil ou de l’oreille, on obtient un signal bioélectrique, mais celui-ci est de forme complexe et variable.

Malgré ces difficultés, l’enregistrement systématique des potentiels évoqués chez l’Homme est devenu un examen de plus en plus pratiqué en clinique (fig. 7). Nombre d’observations pathologiques ont en effet bien mis en lumière des modifications significatives de ces signaux, et les renseignements ainsi recueillis viennent utilement compléter ceux fournis par l’électro-encéphalogramme.

4. Hémisphères cérébraux et motricité

Si l’on inclut dans les hémisphères cérébraux des Mammifères l’ensemble du télencéphale et du diencéphale, les structures qui gouvernent ou intéressent la motricité sont, d’une part, certaines aires du néocortex cérébral, d’autre part, les noyaux de la base et les régions ventrales du diencéphale qui en dépendent (substance noire et subthalamus).

Un territoire sera considéré comme moteur ou participant à l’organisation de la motricité si sa stimulation (en général électrique) entraîne des manifestations motrices (mouvements ou modifications posturales) et/ou si son ablation détermine des troubles de la motricité. La technique d’exploration électrophysiologique a permis de compléter les données de ces méthodes plus traditionnelles en précisant les mécanismes d’action des voies descendantes au niveau même des cellules nerveuses motrices (motoneurones) bulbaires ou spinales, ces dernières constituant respectivement pour la tête et le corps la voie finale commune des mouvements.

Parler de motricité sous-entend, dans la plupart des cas, les phénomènes qui relèvent de la musculature striée: en toute rigueur il s’agit de la motricité somatique , par opposition à la motricité viscérale des effecteurs végétatifs (muscles lisses, myocarde). On se limitera ici à la motricité somatique, les centres moteurs viscéraux devant faire l’objet d’une étude spéciale.

Aires motrices du néocortex des Mammifères

Aire motrice principale

On a pu délimiter, tant chez les Rongeurs que chez les Carnivores et les Primates (y compris l’Homme), une zone corticale dite aire motrice principale (ou «primaire», MI), dont les propriétés peuvent ainsi s’énoncer: sa stimulation par chocs électriques répétitifs suscite des contractions de groupes musculaires localisés de la face, des membres ou du tronc; ces mouvements sont en règle générale controlatéraux par rapport à l’hémisphère stimulé (sauf pour la face où ils peuvent être bilatéraux); si la stimulation est intense, ils peuvent se prolonger au-delà du temps de stimulation («post-décharge»).

La partie controlatérale du corps mise en jeu dépend du point cortical stimulé, ce qui a permis d’établir une somatotopie motrice (fig. 8 et 9) étonnamment semblable à la somatotopie sensitive. On y note, comme dans cette dernière, une absence de proportionnalité entre surface du corps et surface corticale correspondante; l’importance fonctionnelle de la partie représentée (en l’espèce la finesse des mouvements exigés) dicte sans doute ces inégalités d’importance des projections, que les «figurines» tracées sur l’écorce traduisent bien par leurs distorsions.

Chez tous les Mammifères, l’aire MI est frontale, située en avant de l’aire somatique. Chez le Chat, elle occupe la majorité du cortex sigmoïde antérieur et la portion antérieure du sigmoïde postérieur, sur la face latérale et la face médiane de l’hémisphère. Chez les Primates, elle s’étend sur la circonvolution frontale ascendante, dite aussi précentrale ou prérolandique (parce que limitée postérieurement par le sillon central ou rolandique). Du point de vue cytoarchitectonique, l’essentiel de MI semble coïncider avec l’aire 4 de Brodmann, zone caractérisée par la présence de cellules pyramidales géantes (cellules de Betz) dans sa cinquième couche. Quant à sa limite antérieure, il ressort d’autres travaux qu’elle déborde assez largement l’aire 4 pour occuper la partie dorsale du champ 6 de Brodmann, où se localiserait en particulier la représentation de la musculature axiale.

De nombreuses études ont largement étendu notre connaissance du fonctionnement de l’aire MI. En abordant, sans le résoudre totalement, un vieux débat entre les tenants d’une représentation point par point en termes de muscles individuels et ceux qui concevaient l’écorce comme une «représentation de mouvements». Les données actuelles renforcent la première conception, celle d’une mosaïque de muscles. Ainsi en est-il des recherches basées sur des stimulations de l’écorce par électrodes fines («microstimulation», Asanuma) qui ont montré comment un certain groupe de motoneurones spinaux est commandé à partir de l’ensemble d’une colonne corticale et comment les colonnes correspondant à des motoneurones différents présentent des chevauchements partiels. D’autres analyses parlent dans le même sens lorsqu’elles décrivent les modalités complexes de décharges unitaires des neurones corticaux au cours d’un mouvement intentionnel chez le Singe (Evarts).

L’autre notion nouvelle est celle de «boucle corticale»: les explorations unitaires ont en effet révélé que les neurones de commande d’un certain groupe de motoneurones bénéficient d’afférences qui précisément proviennent du muscle commandé, ce qui confère à la motricité corticale le caractère d’une opération asservie (Phillips).

L’ablation chirurgicale partielle ou totale de MI chez le Macaque ou le Chimpanzé détermine une paralysie flasque , sans hypertonie; cette paralysie obéit à la somatotopie puisqu’elle ne touche que les segments périphériques correspondant à la lésion. Certains réflexes, tels les réflexes abdominaux, sont déprimés; enfin, chez le Chimpanzé et chez l’Homme, il apparaît par surcroît, après élimination de l’aire du pied, un «signe de Babinski», dorsiflexion des orteils lors de la stimulation de la sole plantaire, remplaçant la flexion ventrale normalement observée chez l’adulte éveillé. Une disparition des signes déficitaires survient après quelques semaines chez les Singes; les séquelles sont très limitées et discrètes, les animaux redevenant en particulier capables de saisir la nourriture par opposition du pouce et de l’index. Chez le Chat, les déficits moteurs consécutifs à l’ablation de MI sont plus discrets, moins clairs à catégoriser, et la récupération plus rapide et complète encore que chez les Primates.

Aire motrice en S II

Chez les Carnivores et les Primates (fig. 8), un second territoire moteur distinct de MI a été identifié plus latéralement. La somatotopie y est inverse; son extension est assez réduite. Chez le Chat, elle se localise dans les gyri suprasylvien et ectosylvien antérieur; chez les Primates, elle occupe le pied de la circonvolution pariétale (opercule pariétal), à la limite du sillon sylvien. Dans tous les cas, cette localisation coïncide avec celle de l’aire somesthésique S II (cf. Voies corticifuges motrices , in chap. 4). Elle posséderait des projections bilatérales, en particulier pour l’aire de la face. Chez l’Homme, sa stimulation provoquerait (Penfield) tantôt une inhibition des mouvements, tantôt un «désir» de mouvement (phénomènes non obtenus à partir de MI).

Aire motrice supplémentaire

Une importante aire motrice, dite supplémentaire (AMS), a été individualisée, également chez les Carnivores et les Primates. Elle est localisée sur la face médiane où elle couvre, en avant de MI, la partie médiane de l’aire 6 de Brodmann. La représentation n’y serait pas clairement somatotopique, et les mouvements que produit sa stimulation électrique sont en général plus complexes qu’à partir de MI (mouvements d’adversion, c’est-à-dire de rotation vers le côté opposé, ou d’orientation, souvent toniques); ils sont parfois bilatéraux. Chez l’Homme, la stimulation de la partie de l’AMS où se projette la face (?) détermine en outre soit une vocalisation, soit un arrêt total de la parole. L’ablation de MI n’empêche pas l’obtention de mouvements à partir de l’AMS. Ce n’est donc pas uniquement un système de liaisons horizontales avec l’aire principale qui est essentiel à la fonction de cette aire supplémentaire, mais bien aussi une voie descendante particulière.

L’élimination de l’AMS a été effectuée systématiquement chez le Macaque. Il en est résulté des perturbations très différentes de celles qui suivent l’ablation de MI: l’animal ne présente aucune réelle paralysie, ni même de parésie (faiblesse du mouvement volontaire). En revanche, il s’installe du côté controlatéral une exagération des réflexes tendineux (tel le réflexe rotulien), une spasticité des membres (résistance exagérée à la manipulation passive) et une tendance à la préhension forcée par les doigts et les orteils (grasp ). Des ablations combinées de l’AMS et de MI font apparaître un syndrome mixte: paralysie, hyperréflexie tendineuse, dépression des réflexes abdominaux, spasticité, grasp et, s’il s’agit du Chimpanzé, un signe de Babinski. Chez le Chat, les aires motrices principale et supplémentaire sont peu distantes l’une de l’autre, en sorte qu’il n’est pas aisé d’individualiser des symptomatologies différentes correspondant à la privation de chaque territoire (M. Wiesendanger, 1986).

Aires motrices oculogyres

Chez les Primates, d’autres territoires corticaux, distincts de l’AMP, suscitent des déviations conjuguées des deux globes oculaires. Cette rotation s’effectue à peu près toujours vers le côté controlatéral au cortex stimulé; elle comporte parfois, chez l’individu éveillé, une composante verticale (c’est-à-dire que les déviations sont obliques) et, chez l’animal libre de ses mouvements, elle peut s’accompagner d’une rotation de la tête. Deux territoires oculogyres (ou plutôt oculo-céphalogyres) sont ainsi isolés. L’un est «prémoteur», coïncidant, selon des données classiques, avec l’aire 8 de Brodmann (bien que, en particulier chez l’Homme, il soit probablement plus étendu); l’autre est postérieur et occupe la quasi-totalité des aires occipitales (aire 17, visuelle; aire 18, paravisuelle; aire 19, périvisuelle). Selon Penfield, les mouvements obtenus à partir de ces aires oculo-céphalogyres ont le caractère d’activités intégrées en rapport avec l’orientation du regard (mouvements «adversifs associés»).

L’excision unilatérale du territoire oculomoteur antérieur détermine temporairement une déviation tonique des yeux et de la tête vers le côté lésé, avec difficulté de fixation dans l’hémichamp opposé. Des lésions frontales bilatérales ont entraîné un syndrome rappelant la «paralysie psychique du regard»: le regard reste fixe dans le plan médian, pour ne suivre que des points mobiles dont il se détache ensuite pour revenir à sa position initiale.

Existe-t-il d’autres territoires moteurs?

Pour un certain nombre d’auteurs, la liste des territoires moteurs ainsi établie n’est pas close. Dès 1936, Foerster avait conclu de ses explorations neurochirurgicales chez l’Homme à l’existence de zones «motrices tertiaires» desquelles pouvaient être obtenus des mouvements adversifs grossiers. Il s’agissait en particulier de l’aire 6, dite prémotrice (en avant de l’aire 4), de l’aire 5 sur le lobe pariétal et de l’aire 22 temporale. De même E. C. Crosby (1956) et J. C. Lilly (1958) devaient élargir notablement les zones de la convexité qui, chez le Singe, peuvent être considérées comme motrices.

Ces résultats ont été très fortement mis en doute tant pour l’Homme (Penfield) que pour le Singe (Woolsey). De ces longues discussions qui n’ont pas leur place ici, dégageons cependant quelques faits essentiels.

Aire prémotrice

L’idée que le territoire situé en avant de l’aire 4, et qui occupe la partie dorsale de l’aire 6, sur la convexité représente une zone motrice particulière a été développée par tout un groupe d’auteurs. Sous le nom d’aire prémotrice, ils décrivent une région dont la stimulation déterminerait des mouvements complexes (élévations ou flexions toniques des membres; mouvements adversifs de la tête et des membres avec participation de la musculature axiale), tandis que son ablation serait responsable de l’hyperréflexie tendineuse, de la spasticité et de la préhension forcée. D’autres travaux (Woolsey et coll., 1952, 1958), il ressort que cette région n’existe sans doute pas en tant que territoire moteur individualisé. Selon ces auteurs, en effet, l’ablation de la partie de l’aire 6 qui n’appartient ni à l’AMS ni à MI (musculature axiale) n’entraîne aucune perturbation motrice. De plus, la stimulation électrique de ce même territoire ne suscite de mouvements que pour des intensités élevées, laissant supposer qu’une diffusion du courant s’est produite soit vers l’AMS, soit vers le champ oculomoteur frontal, soit vers MI; cela expliquerait la complexité des mouvements prétendument obtenus à partir de cette aire prémotrice et la fréquence des mouvements adversifs (S. P. Wise, 1985).

Aire somatosensitive

Certains auteurs ont estimé que chez le Singe et chez l’Homme, l’aire somatosensitive S I aurait une action motrice: sa stimulation déterminerait des mouvements selon une somatotopie semblable à la somatotopie sensitive, et ces mouvements ne seraient pas supprimés par ablation de MI, ce qui exclut le cortex moteur comme première étape dans la voie descendante. Mais la plus grande prudence s’impose actuellement à propos de ces conclusions.

Voies corticifuges motrices

Dans l’analyse du mécanisme d’action des aires corticales motrices, la connaissance des voies efférentes corticifuges s’impose. À ce titre, une distinction est à faire entre celles qui, du cortex, descendent directement dans le bulbe et la moelle, constituant le faisceau pyramidal, et d’autres, dites extrapyramidales, qui, après avoir quitté le cortex, gagnent d’abord des relais sous-corticaux pour secondairement atteindre le niveau des motoneurones.

Le tractus pyramidal

Le tractus pyramidal compte environ un million d’axones, dont 60 p. 100 sont myélinisés. En ce qui concerne son origine, il est démontré, chez les Primates et, avec des transpositions nécessaires, chez les Carnivores, que toutes les fibres pyramidales viennent du néocortex; que le contingent essentiel est issu de l’aire 4, mais que l’aire 6, en particulier l’AMS, est à l’origine d’un contingent non négligeable; que les cellules géantes de Betz ne constituent que 2 p. 100 des cellules d’origine du tractus; que d’autres fibres pyramidales proviennent des aires post-centrales somatosensitives S I et probablement S II (A. M. Lassek, 1954).

Au niveau bulbaire comme au niveau spinal (fig. 10), les fibres pyramidales, dont la grande majorité a traversé la ligne médiane, se terminent chez les Carnivores dans les couches dorsales et ne seront connectées aux motoneurones que par l’intermédiaire d’interneurones. Chez les Primates, un certain nombre de fibres établissent au contraire des connexions monosynaptiques avec les motoneurones. On notera de plus que des collatérales des fibres corticospinales s’achèvent dans les noyaux réticulaires bulbaires ou pontiques, et que d’autres atteignent les relais de la voie somesthésique (noyau de Goll et Burdach).

Voies corticifuges non pyramidales

Divers territoires corticaux, en particulier les zones frontales, abandonnent des fibres vers des relais sous-corticaux et sont ainsi à l’origine des voies extrapyramidales (fig. 11): on individualise de la sorte à partir des aires 4 et 6 la voie cortico-rubro-spinale , relayant dans le noyau rouge, croisée et à distribution somatotopique comme la voie pyramidale ; la voie réticulo-spinale , avec relais dans la formation réticulée du pont et du bulbe; la voie cortico-nigrale , vers la substantia nigra ; la voie cortico-ponto-cérébelleuse , du cortex moteur aux noyaux du pont puis à l’écorce cérébelleuse; la voie cortico-striée , du cortex vers le striatum puis d’autres structures sous-jacentes (cf. Les structures anatomiques , in chap. 5).

On connaît mal la part respective des voies pyramidales et extrapyramidales dans les manifestations motrices observées par stimulation corticale ou les déficits résultant des lésions ou ablations. On retiendra cependant les points suivants:

– les aires 4 et 6 donnant naissance, en proportions variées, à des fibres des deux types, il n’est pas possible, en toute rigueur, d’identifier MI à une aire pyramidale, ni surtout la zone 6 à une aire extrapyramidale à distribution somatotopique;

– chez le Macaque et le Chimpanzé toutefois, l’interruption du tractus pyramidal détermine une paralysie flasque, avec, chez le second, un signe de Babinski, mais sans aucune spasticité, ce qui évoque bien les effets de l’ablation isolée de MI; ces observations ont été confirmées chez l’humain;

– les répercussions d’ablations isolées de MI ou de l’AMS étant fort différentes, il ressort de l’observation ci-dessus que si MI est à dominante largement pyramidale, les voies d’action de l’AMS sont probablement plus complexes;

– il n’est pas moins démontré qu’après section du tractus pyramidal, des mouvements peuvent encore être suscités à partir de MI, par un chemin extrapyramidal selon toute probabilité;

– les mouvements évoqués par stimulation de l’AMS et de l’aire S I ne sont pas, on l’a vu, supprimés par ablation de MI; cela confirme que des fibres, soit pyramidales, soit extrapyramidales et organisées somatotopiquement, transmettent cette motricité;

– enfin, certains effets de la privation de l’AMS (spasticité, hyperréflexie tendineuse) évoquent non point une action «déficitaire», mais bien plutôt la suppression d’une influence inhibitrice exercée sans doute par un circuit extrapyramidal.

On a souvent considéré que le système pyramidal, c’est-à-dire, en schématisant, MI et le faisceau pyramidal, était indispensable à l’exécution des mouvements «volontaires». En fait, même chez le Singe, l’élimination de ce système est suivie, après la phase parétique, d’une récupération plus ou moins complète. Si une gêne subsiste dans les mouvements fins, elle ne touche pas l’initiative motrice, mais tout au plus l’«instrument d’exécution». Seules des ablations larges de l’ensemble du cortex moteur et prémoteur (c’est-à-dire d’une grande partie des efférences pyramidales et extrapyramidales) ont conduit à des troubles de l’initiative psychomotrice (pertes des apprentissages moteurs). Retenons aussi que chez le Macaque l’ablation subtotale bilatérale du néocortex ne supprime pas tous les signes de motricité «élaborée» (Travis et Woolsey, 1956).

Il est tout aussi probable que l’hémiplégie par lésion vasculaire prérolandique ou capsulaire chez l’Homme représente un syndrome mixte, pyramidal et extrapyramidal: car on distingue, dans son tableau clinique, d’une part la paralysie, l’abolition des réflexes abdominaux et le signe de Babinski, qui seraient d’origine pyramidale, et d’autre part la spasticité, l’hyperréflexie tendineuse qui seraient dues à une atteinte extrapyramidale.

En fait, la physiologie des aires motrices doit probablement s’interpréter en fonction d’un jeu complexe d’interactions, dont nous ignorons à peu près tout, entre les deux types de systèmes moteurs.

5. Régulations motrices à partir des structures sous-corticales extrapyramidales

Il est difficile, et serait très artificiel, de délimiter les propriétés fonctionnelles des ganglions de la base sans considérer, partiellement au moins, leur insertion dans l’ensemble plus large des systèmes extrapyramidaux, ainsi qu’ils ont été définis ci-dessus.

Les structures anatomiques

Rappelons que le striatum comporte le noyau caudé et le putamen, noyaux d’origine télencéphalique, auxquels se joint le pallidum, d’origine diencéphalique. Putamen et pallidum constituent, pour l’anatomie descriptive, le noyau lenticulaire, séparé du noyau caudé par la capsule interne (fig. 11).

Le striatum reçoit des projections de diverses aires corticales, en particulier (mais non exclusivement) des aires 4 et 6; de divers noyaux thalamiques, et spécialement du système intralaminaire [cf. ENCÉPHALE]; de la substantia nigra du mésencéphale. Il se projette à son tour: vers des relais extrapyramidaux du diencéphale (subthalamus ou corps de Luys) et du mésencéphale (substantia nigra , noyau rouge et formation réticulée); vers l’hypothalamus; vers le groupe ventral du thalamus, en particulier le ventral latéral (par l’anse lenticulaire); vers l’écorce frontale (en particulier l’aire 6). Notons que le striatum et le pallidum sont étroitement interconnectés et que la plupart des voies efférentes cheminent à partir du pallidum.

Un coup d’œil à cette organisation laisse apparaître l’existence de circuits, ou boucles, fermés. Deux en particulier, l’un cortico-strio-pallido-thalamo-cortical et l’autre cortico-nigro-strio-pallido-thalamo-cortical, ont été considérés, hypothétiquement, comme ayant une importance fonctionnelle.

Leurs fonctions

Les données fonctionnelles relatives au rôle des formations striées sont de deux ordres: d’une part, les renseignements puisés dans la clinique neurologique et l’anatomoclinique humaine, relatifs à la pathogénie des syndromes extrapyramidaux; d’autre part, les données d’interventions localisées (stimulations ou lésions) chez l’animal.

Données cliniques

Il y a longtemps que l’on a fait le lien entre certaines perturbations bien déterminées de la motricité (dyskinésies) et des lésions de structures extrapyramidales sous-corticales.

On décrit ainsi une entité nosologique, la maladie de Parkinson, caractérisée par une rigidité (qui diffère de la spasticité hémiplégique), une hypokinésie , c’est-à-dire un appauvrissement des mouvements spontanés (faciès figé, mouvements rares et lents, absence de certains automatismes) et un tremblement statique (c’est-à-dire au repos et disparaissant pendant un mouvement volitionnel). D’autre part, on reconnaît toute une série de mouvements anormaux involontaires: mouvements choréïques (secousses brèves, bilatérales), athétosiques (plus lents et ondulants), dystonies d’attitude ou de mouvements (spasmes de torsion par exemple), hémiballisme (mouvements amples et violents, unilatéraux).

Il est actuellement exclu d’établir une théorie pathogénique complète de ces dyskinésies. Les données de l’anatomoclinique ne peuvent que nous indiquer les lésions les plus probables dans chaque cas particulier, mais sans que des délimitations strictes soient possibles. C’est ainsi que les symptômes de la maladie de Parkinson sont rapportés à des atteintes de la voie nigro-striée, que l’hémiballisme est attribué à des lésions du subthalamus et que les syndromes choréo-athétosiques seraient associés à des altérations assez diffuses du striatum.

À ces données anatomocliniques déjà anciennes sont venues s’ajouter les premières tentatives de thérapeutique neurochirurgicale des mouvements anormaux, consistant à éliminer une partie du cortex «précentral» (procédé souvent efficace, quoique suivi de troubles parétiques). Se fondant sur diverses indications, anatomiques ou fonctionnelles, certains auteurs ont rapporté ces troubles à un dysfonctionnement de l’un ou l’autre des «circuits» qui, on l’a vu, peuvent être tracés à l’intérieur du système extrapyramidal. Il était tentant en effet – et l’initiative en revient semble-t-il à P. C. Bucy (1949) – d’imaginer que le dérèglement ou la libération d’un de ces circuits, sous l’effet par exemple de la lésion d’un centre qui normalement le module ou l’inhibe, pourrait altérer la motricité, soit dans le sens du tremblement, soit dans celui des mouvements anormaux d’un autre type. Quoi qu’il en soit, c’est guidée sans doute par de telles hypothèses que la neurochirurgie a conçu, plus ou moins empiriquement d’abord, un peu plus rationnellement ensuite, de pratiquer des lésions de la boucle pallido-thalamique. Cette thérapeutique neurochirurgicale, fondée sur des lésions actuellement plus volontiers limitées au noyau ventral latéral s’est avérée efficace dans un grand nombre de cas d’hyperkinésies ou de maladies de Parkinson.

Données expérimentales

Plus sans doute que dans d’autres domaines, l’expérimentation animale sur les noyaux de la base a souvent fait figure de recherche appliquée, puisqu’elle s’est fixé pour premier but d’éprouver le bien-fondé des hypothèses explicatives des syndromes hypo-ou hypercinétiques de l’humain. Pour l’essentiel, les résultats furent souvent contradictoires et n’apportèrent que des confirmations très partielles des schémas fonctionnels proposés. C’est ainsi que la neurologie expérimentale s’interroge encore sur les effets d’une élimination du striatum chez l’animal. Selon l’espèce et le type ou l’étendue de ces lésions, les troubles varient: chez le Chat et le Singe, des lésions bilatérales larges ont provoqué une progression inexorable vers l’avant, suggérant qu’une action inhibitrice de la motricité avait ainsi été éliminée (F. A. Mettler, 1941); d’autres auteurs signalèrent chez le Chat la suppression de certaines activités plus ou moins automatiques (Wang et Akert); chez le Singe, des lésions striatales n’ont en tout cas entraîné aucun trouble moteur rappelant une dyskinésie humaine, à moins que le cortex frontal ne soit également éliminé (Kennard et Fulton). D’autres fois enfin, les perturbations relevaient davantage du comportement «psychomoteur», se manifestant au cours de certains apprentissages (tests de réponse retardée ou d’alternation retardée).

Des lésions du subthalamus ont provoqué chez le Singe (et non chez le Chat) des mouvements «involontaires» quelque peu similaires à l’hémiballisme.

Quand à celles d’une région située au voisinage de la substantia nigra et de la formation réticulée mésencéphalique, elles ont conduit, toujours chez le Singe, à une symptomatologie d’allure parkinsonienne: hypokinésie, faciès figé, rigidité et tremblement statique (Ward, Mc Culloch et Magoun, Gybels, Schreiner, Poirier). Ces derniers résultats, sans doute les plus clairs, concordent avec l’hypothèse que la maladie de Parkinson résulterait d’une lésion de la voie ascendante nigro-striée «libérant» le pallidum.

La stimulation du striatum peut susciter chez l’animal des mouvements adversifs (rotation de la tête et du tronc vers le côté opposé). Elle peut aussi déterminer une inhibition instantanée de la motricité; selon les intensités utilisées, cette suppression touchera ou bien tous les mouvements, y compris les activités relativement automatiques telle la marche, ou bien se limitera aux mouvements élaborés d’acquisition récente (mouvements appris à l’animal). On peut enfin observer, lorsque la stimulation est prolongée, une réduction progressive de l’activité générale qui est susceptible de conduire à un état d’«adynamie», puis au sommeil. Ces résultats ont confirmé l’hypothèse généralement admise actuellement d’un rôle «inhibiteur» de la motricité, joué par le noyau caudé.

Quant aux stimulations d’autres structures extrapyramidales , pallidum et subthalamus en particulier, elles n’ont pas donné de résultats univoques, en raison, sans doute, des difficultés – ou de l’impossibilité – de faire la part de ce qui est une stimulation de fibres de passage et de ce qui revient aux neurones du centre stimulé lui-même. Parmi les signes les plus nets, mais peu significatifs pour notre propos, on notera des mouvements d’ensemble vers le côté opposé, ce qui signe évidemment bien l’intervention de ces systèmes extrapyramidaux dans les mouvements globaux.

Mécanismes neurochimiques

Les recherches sur la pathogénie des syndromes extrapyramidaux et plus généralement sur les mécanismes de la motricité ont pris une orientation différente. On sait en effet qu’il existe une altération du métabolisme des catécholamines, et spécialement de la dopamine dans la maladie de Parkinson. On a ainsi montré: que le striatum est normalement très riche en dopamine et que le cerveau de patients parkinsoniens accuse une pauvreté anormale en catécholamines et spécialement en dopamine. Au niveau de l’expérimentation animale, il a été confirmé que le noyau caudé est riche en dopamine et constaté que les neurones de la voie reliant la substantia nigra au striatum sont dopaminergiques, c’est-à-dire sécrètent la dopamine et exercent normalement une action inhibitrice sur le striatum. L’interruption de cette voie détermine une dégénérescence dans la substantia nigra et une perte de la dopamine striatale; une telle lésion suscite également (on l’a vu ci-dessus) un syndrome similaire au syndrome parkinsonien. On comprend dès lors que le traitement de cette maladie, et même d’autres désordres moteurs, se soit avec succès orienté vers une thérapeutique chimique, fondée sur des substances agissant d’une manière ou d’une autre sur les systèmes neurochimiques de médiateurs.

6. Hémisphères cérébraux et opérations intellectuelles

Présentée sous deux aspects analytiques, celui de la sensorialité et celui de la motricité, l’exploration fonctionnelle des hémisphères cérébraux n’est pas close. C’est évidemment dans le cortex cérébral que se situe l’élaboration des fonctions complexes, qu’il s’agisse de la reconnaissance du monde sensible (fonctions gnosiques), de la programmation d’actes organisés et finalisés (fonctions praxiques) et a fortiori d’activités intellectuelles, tels le langage (parlé, lu et écrit) et la pensée abstraite. Dans cette perspective, projections sensorielles et projections motrices représentent bien entendu des chaînons indispensables de ces opérations corticales, mais n’en constituent pas l’essence, d’autant moins sans doute que l’on s’élève dans l’échelle phylogénétique. Il n’y a pas lieu ici de détailler ces fonctions complexes; mais on évoquera cependant quelques problèmes généraux.

À propos des études sur le cortex cérébral (anatomiques, physiologiques, et surtout cliniques), diverses conceptions s’affrontent depuis longtemps, avec des expressions différentes, mais elles se réduisent finalement à deux attitudes fondamentales vis-à-vis des localisations cérébrales ; l’une les accepte et en recherche les détails, l’autre en minimise l’importance et voit volontiers l’écorce comme un tout fonctionnel non divisible. De telles discussions vont bien au-delà des faits, toujours fragmentaires, que les protagonistes mettent en avant. Elles tendent à se situer sur un plan philosophique; l’enjeu est d’importance, puisqu’il s’agit de connaître l’instrument de la connaissance.

Arguments et hypothèses des théories localisationnistes

Substrats des processus gnosiques

Les études structurales tout d’abord, les études fonctionnelles ensuite, en particulier cliniques, ont depuis longtemps proposé des schémas des opérations de connaissance du monde extérieur. C’est P. E. Flechsig (1896) puis C. Vogt (1909) qui, les premiers, insistèrent à partir de leurs études myéloarchitectoniques, sur l’opposition entre des aires primaires (réceptrices ou motrices) et d’autres territoires dont la myélinisation est plus tardive et qui furent qualifiés d’«associatifs». L’étude ultérieure des relations thalamo-corticales devait consacrer cette distinction et montrer que ces territoires associatifs, dont l’importance croît dans la série phylogénétique, sont en relation d’une part avec des aires corticales primaires, d’autre part avec des noyaux thalamiques précisément dits associatifs, qui ne reçoivent directement de messages afférents ni de la périphérie, ni d’autres niveaux de l’encéphale, mais bénéficient d’un afflux à partir des relais thalamiques sensoriels voisins. Dès lors se bâtit un schéma des opérations gnosiques: à chaque territoire sensoriel primaire est «attachée» une région dite associative, ou gnosique, ou psycho-sensorielle, où se trouvent «intégrés», c’est-à-dire stockés, élaborés et surtout comparés à l’acquis antérieur, les messages transmis de l’aire de projection voisine. Pour le système visuel, cette fonction revient, dans cette hypothèse, aux aires para- et périvisuelle (respectivement, aires 18 et 19 de Brodmann), pour l’audition, aux aires temporales 41 et 42 et, pour la somesthésie, aux aires pariétales 5 et 7.

L’anatomoclinique renforce et consolide l’hypothèse en associant effectivement, chez l’Homme, des altérations de la sphère gnosique («agnosies») à des lésions de ces territoires circum- ou paraprimaires (J. Ajurriaguerra et H. Hecaen, 1948). En revanche, chez l’animal, les résultats expérimentaux sont beaucoup plus fragmentaires, en particulier parce que les aires associatives sont moins étendues et dès lors plus difficiles à éliminer isolément. Retenons néanmoins que, chez le Singe, des agnosies tantôt visuelles tantôt somatiques ont effectivement pu être obtenues à la suite de lésions de territoires anatomiquement caractérisés comme associatifs.

Quoi qu’il en soit du détail, ces conceptions qui tendent à établir une «mosaïque fonctionnelle» de l’écorce s’inspirent en fin de compte de la psychologie associationniste qui a conçu la perception d’un objet comme une succession d’opérations distinctes qui vont du simple (sensation primaire de l’objet) au complexe (reconnaissance de sa signification, compte tenu des «engrammes» du sujet percevant). On saisit aisément comment l’hypothèse d’aires psychosensorielles n’est pour l’essentiel qu’une concrétisation, dans l’espace cortical, de cet atomisme fonctionnel postulé par l’associationnisme.

Substrats des praxies et du langage

On touche, ici, à des mécanismes plus complexes encore que la reconnaissance gnosique. Il s’agit des élaborations gestuelles d’une part, des étapes du langage de l’autre. Il n’est, une fois encore, pas question de détailler des résultats. Il suffit de rappeler que, dans la perspective localisationniste, les apraxies que décrit la clinique neuropsychiatrique (apraxie idéomotrice, idéatoire, constructive, etc.) sont en général associées à des lésions circonscrites de la région du carrefour pariéto-temporo-occipital (Ajurriaguerra et Hecaen, 1948). Dans les études sur l’aphasie, l’élan fut donné par P. Broca (1861) lorsqu’il associa l’aphasie motrice à une lésion du pied de la circonvolution frontale F3. K. Wernicke, de son côté, relia d’autres aphasies, du type sensoriel, à des lésions du gyrus angulaire. La distinction entre aphasie motrice et aphasie sensorielle, dans la mesure où elle est cliniquement valable, reste, pour l’essentiel, associée à une différence de localisation des lésions sur l’hémisphère dominant.

Sur le plan de l’expérimentation animale, l’analyse de l’élaboration motrice reste un chapitre difficile à délimiter. Ici, l’exécution d’un acte moteur intégré est ordinairement associée à une certaine situation expérimentale représentant le «stimulus» déclenchant l’acte. Ce couplage stimulus-réponse est devenu la dominante dans les théories du comportement animal les plus répandues, qu’il s’agisse de la réflexologie pavlovienne ou du béhaviorisme américain, les unes et les autres considérant un acte moteur intégré avant tout dans sa liaison avec une situation déclenchante. Ainsi les mécanismes du comportement moteur se trouvent-ils liés, dans l’expérimentation animale, à ceux de l’apprentissage, ce qui restreint nos possibilités d’exploration des «praxies» en tant que telles, chez d’autres espèces que l’espèce humaine. Encore que des résultats abondent, qui font état de déficits de l’activité gestuelle et de «négligences» de l’espace environnant après certaines lésions pariétales chez le Singe (Mountcastle).

À un certain stade, enfin, de l’histoire de l’exploration du cerveau, apparurent les résultats de l’analyse électrophysiologique, fondée sur l’examen des signes électriques de l’activité nerveuse. Ceux-ci sont pour une très grande part localisationnistes, tout comme l’ont été les premiers travaux qui, jadis, délimitèrent une aire motrice par la stimulation électrique (cf. Aire motrice du néocortex des Mammifères , in chap. 4). Le «théoricien» du cerveau ne peut que difficilement ignorer ces travaux modernes qui tracent physiologiquement la géographie des projections sensorielles ou motrices, même s’il reste convaincu que cette mosaïque cérébrale n’explique pas les opérations intellectuelles complexes.

Contre la tendance localisationniste, les conceptions holistiques

Historiquement, la conception «holistique», tout autant que la conception localisationnniste, plonge ses racines dans d’anciennes controverses. Déjà Flourens (1824) niait l’existence de «différents sièges pour diverses facultés». Quant à Broca, il trouva en Pierre Marie un contradicteur opposé à toute localisation des aires de la parole. Enfin, en 1928, von Monakov établit de son côté une distinction, bien souvent mise en avant depuis, entre localiser une lésion et localiser une fonction, ce qui était une façon de condamner des localisations qui seraient fondées sur les données anatomo-pathologiques associées à un déficit déterminé. Alors qu’avec H. Head puis avec K. Goldstein, une certaine conception holistique prenait de nouvelles assises dans la clinique neurologique humaine, elle trouvait en K. S. Lashley (1929) un théoricien se fondant sur l’expérimentation animale. Travaillant essentiellement sur le rat, celui-ci développa les deux principes essentiels de sa doctrine: la loi d’«équipotentialité corticale» et la loi d’«action de masse». D’une part, Lashley nie l’importance fonctionnelle de l’organisation «topique» des aires sensorielles ou motrices détaillée plus haut. Toute zone corticale réceptrice ou effectrice serait «équipotentielle» vis-à-vis de n’importe quel point du système récepteur ou effecteur correspondant (des ablations partielles n’entraînèrent pas, dans ses expériences, les déficits que laissaient prévoir l’organisation point par point des projections). D’autre part, le retentissement d’une ablation corticale serait en quelque sorte proportionnel à la quantité d’écorce éliminée, quels que soient les contours de cette ablation. Pour l’auteur comme pour bien d’autres antilocalisationnistes, l’intelligence doit être conçue comme une fonction dynamique dont il serait vain de chercher la localisation (In Search of the Engrams , 1950). Enfin Lashley s’élève contre l’assimilation de l’intégration nerveuse à l’organisation d’une chaîne de réflexes, autre volet de l’hypothèse associationniste; à ce titre, il engage la lutte contre les attitudes réflexologiques, tant béhavioristes que pavloviennes.

La conception holistique devait assez naturellement s’accorder avec la théorie psychologique dite «de la forme» (ou de la Gestalt ). Les tenants de cette dernière y voyaient une sorte de concrétisation de leurs hypothèses, puisque les notions de structure et de globalité non réductibles à des opérations élémentaires ne sont guère compatibles avec les schémas de l’associationnisme traditionnel. Des auteurs, tel Koehler, postulèrent que les intégrations corticales reposaient sur la progression d’un «champ de force» (supposé électrique) à travers l’écorce. Cette théorie inspira même des vérifications expérimentales relatives à l’importance du champ électrique dans les intercommunications neuronales, au niveau de l’écorce; toutes se soldèrent par un échec.

Actuellement, le débat n’est pas clos. L’attitude holistique dans son expression la plus radicale perd évidemment du terrain à mesure que l’exploration électrophysiologique ou l’anatomoclinique consolident les conceptions localisatrices. Cela n’exclut pas que, dans le cadre du structuralisme psychologique moderne (Merleau-Ponty, 1945), elle poursuive son effort d’interprétation des fonctions cérébrales complexes, en distinguant toutefois, comme nous l’annoncions ci-dessus, l’opération intellectuelle elle-même, qui implique des processus aussi peu localisables que la mémoire, de ses instruments primaires de sensation et d’action.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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